L'histoire du Brie de Meaux est l'histoire d'un fromage de grand moule atteignant 35 cm de diamètre et dont le passé est riche. Connu depuis le Moyen Age, apprécié de nombreux rois de France et chanté par maints écrivains, l'histoire du Brie connut son heure de gloire lors du congrès de Vienne en 1815. A l'occasion d'un banquet réunissant tous les plénipotentiaires, chacun d'eux se fit servir son fromage préféré. C'est le Brie de Meaux, qui, par la voix de Matternich, chancelier d'Autriche, fut consacré "Prince des fromages".
On présume que l'histoire du Brie a pris naissance dans l’abbaye de Jouarre, fondée au VIIème siècle. Eginhard, moine à Saint-Gall, rapporte dans sa Vie de Charlemagne que, au retour de sa campagne contre les Lombards, l’empereur en goûta au prieuré de Reuil-en-Brie. L’ayant trouvé excellent – « Je viens de découvrir l’un des mets les plus délicieux », déclara-t-il -, il demanda à l’abbé de lui faire envoyer plusieurs chargements chaque année dans sa ville d’Aix-la-Chapelle.
Plus tard, l'histoire du Brie passe par Philippe-Auguste qui le jugea également « escuelent » et, durant son règne (1180-1223), en fit distribuer à toute la cour au moment des étrennes. L'histoire du Brie, c'est aussi un compte rendu de la cour de Champagne (à l’époque, la Brie faisait partie de la Champagne) établit qu’en 1217 le receveur des foires de Provins avait, sur ordre de la comtesse Blanche de Navarre, envoyé deux cents « galettes de Brie », payées 12 sols l’unité du roi Philippe. L'histoire du Brie est également chanté par le poète Eustache Deschamps qui fut non seulement un rimeur célèbre, mais aussi un redoutable combattant auprès de Charles V et de Charles VI, pour « bouter l’Anglois hors de France », appréciait beaucoup le fromage de Brie, dont il disait « que c’estoit la seule bonne chose qui provenoit de ce païs ».
L'histoire du Brie continue avec le père de Louis XII, Charles d’Orléans, charmant et délicat auteur de virelais et de ballades de cour, qui avait coutume d’en distribuer, lui aussi, à son entourage. Le portier de son hôtel, Guillaume Ligier, a attesté avoir reçu, le 6 décembre 1407, vingt « dozaines de fromages de païs de Brye demandez par ledit seigneur pour donnez aux estraines prochennes ». Il faut rappeler qu’en ce XVème siècle commençant les baux fermiers comprenaient une clause, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, selon laquelle la redevance au bénéfice des propriétaires habitant la capital à titre de « faisance consistait dans « la fourniture de quelques dozaines de fromaigres en cresme, secqs, prets à mettre en cave » ou bien des « froumages de grand moule livrables à la Saint-Martin ».
Durant tout le XVIème siècle, l'histoire du Brie continue et on trouve sous la signature d’Antoine Truquet, peintre, un ouvrage intitulé Les Cent et Sept cris de Paris, où on peut lire :
« Fourmaige de Brye
Fourmaige à la livre !
Fourmaige de Brye
Tant plus haut je crie
Et moins j’en délivre ! »
Henri IV marqua l'histoire du Brie en le découvrant alors qu’il soupait avec la reine au vieux château de Meaux un soir de février 1594. L’anecdote ajoute que par la suite le reine Marguerite passa maître dans l’art de les choisir pour satisfaire son royal époux. Le principal jalon historique que l’on possède au XVIIème siècle est un poème du « bon gros Saint-Amant » (plus précisément Marc-Antoine Girard, seigneur de Saint-Amant,, de l’Académie française), extrait des Goinfres, poème réaliste et gourmand qu’il composa en 1646.
« Ô Dieu quel manger précieux
Quel goût rare et délicieux !
Qu’au prix de lui ma fantaisie
Incague la sainte ambroisie !
O doux cotignac de Bacchus !
Fromage, que tu vaux d’échus !
Je veux que ta seule mémoire
Me provoque à jamais à boire.
A genoux, enfants débauchés !
Chers confidents de mes péchés,
Sus… qu’à plein gosier on s’écrie :
Béni soit le terroir de Brie ! »
On peut ajouter le fait qu’au soir de la bataille de Rocroi le Grand Condé, qui venait de tailler en pièces l’infanterie espagnole, demanda du brie au repas qu’il prit avant de se reposer.
L'histoire du Brie continue avec Marie Leszcynska qui contribua également à mettre le brie à la mode au XVIIIème siècle, quand elle arrêta avec sa suite à Donnemarie-en-Montois, où l’attendaient les émissaire du roi et où lui furent servis des « gâteaux de fromage » qu’elle trouva si bons que les offices royaux n’en manquèrent plus par la suite.
Plus tard, on connaît l'histoire de la fuite de Louis XVI et son arrêt chez Sausse, l’épicier détaleur de Varennes, où il perdit de précieuses minutes pour satisfaire son insatiable appétit avec du Brie et du vin rouge.
Mais c’est après la chute de l’Empire que ce fromage eut son heure de célébrité dans l'histoire de France. Il connut son apothéose à Vienne lors du banquet de clôture du Congrès où l’Europe régla le sort de la France vaincue. Le comte de Vielcastel, secrétaire du Congrès pour la France, rapporte dans ses Mémoires que lors d’une conversation avec le prince de Metternich, chancelier d’Autriche, le duc de Talleyrand, ambassadeur de Louis XVII, avait vanté les mérites de la gastronomie française et soutenu qu’aucun fromage ne valait le Brie de Meaux. Blessé dans son amour-propre national et poussé par les diplomates qui assistaient à la scène, Letternich décida qu’à l’occasion du prochain banquet chacun ferait venir son fromage préféré. Au jour prévu, tous les diplomates réunis autour de la table étaient anxieux de voir arriver le dessert. Plus de soixante variétés de fromages étaient réunies, qui furent dégustées avec la plus grande attention. La discussion suivit, et le jury, par la voix même de Metternich proclama le Brie « prince des fromages et premier des desserts ». Ces Bries historiques venaient de la ferme des Baulny, vieille famille meldoise habitant l’été sur les terres de Villeroy. A la suite de cet épisode, un autre chroniqueur a noté dans le compte rendu de la séance, à laquelle il avait assisté : « C’est bien le seul prince qu’il ne pourra trahir ! »
Dix ans plus tard, un poète du nom de Verfele – anagramme de Lefevre – chantait le Brie de Meaux sur un ton nettement gastronomique :
« Tu règnes avec le bon vin
Qu’Epernay, ton voisin, nous donne
Sur les gosiers du genre humain.
Tu fais mieux sentir ta saveur,
Il fait mieux sentir son mérite… »
Au début du XXème siècle, il y avait autant de Bries que de fermes briardes. Le département de Seine-et-Marne nourrissait alors plus de 100 000 bovins et produisait des millions de fromages par an.
Les mêmes statistiques nous apparemment que, chaque samedi, au marché de Meaux, il se vendait pour 100 000 francs de fromages de Meaux sur la base de 60 à 65 francs la douzaine, soit environ 1 600 douzaines, près de 20 000 fromages.
Au lendemain e la Grande Guerre, en 1927, le commerce du Brie était toujours florissant à Meaux et à Coulommiers. Le cheptel comptait encore 51400 vaches laitières, chiffre qui était tombé à 50 000 en 1950 et à peine à la moitié actuellement.